dimanche, octobre 15, 2017

Le métajournalisme: transparence, imputabilité, autocritique et pédagogie

Tiré du livre
Les Planqués: le journalisme victime des journalistes (VLB Éditeur, Montréal, 1995) (http://classiques.uqac.ca/contemporains/bernier_marc_francois/les_planques/Bernier_Les_Planques.pdf)

(Note de l'auteur: Il s'est passé bien des choses depuis 1995. Le journalisme et les journalistes sont plus critiqués que jamais dans l'espace public, en raison des médias sociaux qui libèrent la parole citoyenne, qu'elle soit profane ou experte. Cela plaide pour davantage de métajournalisme, qui est à la fois un exercice de transparence et d'imputabilité de la part des médias, une nécessaire autocritique pour surmonter la tentation corporatiste, ainsi qu'une oeuvre de pédagogie qui peut atténuer la vindicte populaire et instaurer un meilleur dialogue avec les publics des médias, en cette ère de méfiance et d'attaques souvent abusives).


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Le métajournalisme


On dit que le chien de garde de la démocratie est le journaliste, pour signifier l’importance d’informer le public au sujet de ceux qui le gouvernent grâce à son consentement électoral. Il faudrait aussi que le journaliste soit le chien de garde du chien de garde. En fait, un des chiens de garde des chiens de garde, en compagnie des ombudsmans, des conseils de presse et du public, pour ne nommer que ceux-là.

Le journalisme est sans doute la seule activité sociale d’importance en démocratie qui parvienne à échapper presque totalement aux regards critiques des médias. Le public a besoin et a droit aux informations du métajournalisme. Du reste, s’il était convenablement informé de la façon dont on l’informe, il pourrait se faire une opinion éclairée sur le sujet. Mis au courant des cas de conflits d’intérêts, des invasions répétées et illégitimes de la vie privée, des conséquences concrètes reliées aux méthodes trompeuses, des erreurs de fait non corrigées, des cas flagrants de plagiat ou des amitiés douteuses qui caractérisent réellement le journalisme québécois, en plus de l’incurie et du maquillage qui permettent de tels dérapages, le public serait certainement plus critique quand on lui demanderait, dans le cadre d’un sondage, comment il évalue la qualité de l’information qu’on lui sert. Mais comment peut-il avoir une opinion éclairée sur un sujet à propos duquel on ne l’informe pas ?

Au Québec, il n’existe pas une tradition métajournalistique importante. Il y a bien eu quelques dizaines d’ouvrages portant sur le journalisme, écrits par des journalistes, mais on doit plutôt parler de documents et d’essais dans les meilleurs cas, de pamphlets et de défoulement personnel dans les pires.

Le métajournalisme est d’une autre nature. Il consiste à assurer l’information sur les médias en y mettant autant d’intensité qu’on en met à couvrir les affaires politiques, l’économie, les faits divers ou les sports. Informer les gens à propos de ceux qui les informent : qui ils sont, comment ils travaillent, quelles critiques ils suscitent, quelles sont leurs erreurs et leurs bons coups, quelles fautes professionnelles ils ont commises, pour quelles raisons, etc. Établir un lien entre les informations diffusées ou censurées, d’une part, et les comportements journalistiques, d’autre part, est éminemment d’intérêt public. Cela permet de comparer ces comportements avec les règles déontologiques et les principes éthiques de la profession.

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C’est en appliquant pour leur profession les mêmes critères que pour les autres que les journalistes se livrent à des activités de métajournalisme et assument eux-mêmes une fonction de contre-rôle à leur égard. La tradition est mieux implantée chez nos voisins anglo-saxons, où les magazines professionnels contiennent des reportages et enquêtes fouillés et critiques à l’égard des pratiques professionnelles. [...]

Mises à part deux émissions de la Société Radio-Canada, Le Point médias (télévision) et C’est la faute aux médias (radio), aucun des principaux médias québécois francophones n’affecte un journaliste à la couverture du travail des médias d’information. Il est terrible de constater que les institutions qui décident en bonne partie des sujets de conversation du jour, qui font et défont les réputations, suscitent ou paralysent des mouvements de société, qui encensent ou fragilisent les gouvernements, échappent au compte rendu et à la critique journalistiques.

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Le métajournalisme influe sur la façon dont les médias travaillent, même si cette influence est plus accidentelle que structurelle. On a pu observer cette influence aux États-Unis, lors des émeutes dans les quartiers noirs de Los Angeles du printemps 1992. La chaîne de télévision CNN, sensible aux critiques maintes fois formulées par les métajournalistes et divers «gérants d’estrade» relativement aux conséquences possibles de la diffusion en direct d’événements dramatiques, a pris garde de ne pas répéter trop souvent la diffusion des mêmes scènes de pillage, par crainte de contribuer à une escalade de la violence dans plusieurs villes américaines. On peut discuter du bien-fondé de cette décision en faisant valoir, par exemple, que les études ne sont pas très concluantes relativement à l’hypothétique relation entre la violence télévisée et l’accroissement de comportements violents dans la société, mais là n’est pas mon propos. Il me suffit de constater que les événements ont, cette fois, donné raison aux critiques de la profession et que la chaîne CNN a assuré une couverture prudente des événements.

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Le métajournaliste a le mandat de démythifier la profession aux yeux du public, de lui montrer que la vraie vie du journaliste n’a rien à voir avec Scoop. Il informe les gens des limites, des méthodes et des finalités de cette profession, leur signale les bons coups des journalistes intègres et responsables, mais aussi dénonce les planqués simplement en mettant au jour leurs pratiques ou leurs situations douteuses. Il souligne les principaux cas d’informations erronées dans l’unique but de protéger le public, comme on informe le consommateur de la qualité des biens et services qu’il est susceptible de se procurer. La qualité de l’information et le service du public méritent bien qu’on leur consacre une telle attention.

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