dimanche, septembre 20, 2015

Pour des États généraux sur l’information au Québec



Marc-François Bernier (Ph. D.)
Professeur titulaire
Département de communication
Université d’Ottawa


En matière de journalisme, de droit des citoyens à l’information et d’atteintes à la démocratie, ce ne sont pas les graves raisons de s’inquiéter qui manquent : ce sont plutôt les nouvelles façons de penser l’information, et les idées novatrices doivent nécessairement résulter de bilans rigoureux et collectifs.

Au-delà de l’étiolement des médias d’information durement touchés par des décisions politiques et l’effondrement de leurs modèles économiques traditionnels dans un contexte de transformations technologiques; au-delà des revendications particulières ou corporatistes des uns et des autres; au-delà, finalement, des critiques qu’on peut légitimement faire aux médias et à leurs journalistes, la première responsabilité de la société québécoise est de défendre et de renforcer le droit du public à l’information dans ses composantes démocratiques, culturelles, intellectuelles et économiques.

Ce droit citoyen devrait être au centre des préoccupations de tous.

Pour cela, il faut convoquer des États généraux sur l’information, laquelle est plus que jamais un bien public, une œuvre collective à la quelle contribuent médias privés et publics, journalistes de tous statuts, citoyens, relationnistes, scientifiques, associations, entreprises privées et institutions publiques.

Il faut des États généraux sur l’information qui seront en mesure de surmonter les intérêts particuliers, lesquels, bien que légitimes, doivent prendre en compte l’intérêt et l’émancipation des citoyens, particulièrement ceux qui désirent participer aux débats publics et s’y investissent.

Il faut des États généraux où les intervenants seront capables d’appréhender les problèmes et les solutions en tenant toujours compte de l’intérêt général et du bien commun.

Ces États généraux s’imposent afin de réitérer un ensemble de droits reconnus dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Le droit à l’information, bien entendu, mais la liberté d’expression, le droit à la vie privée, le droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

Il serait vain et stérile de tenir un exercice restrictif ou limité aux médias d’information traditionnels alors que ces enjeux coexistent dans un écosystème informationnel où l’information peut être produite et diffusée par des centaines, voire des milliers d’acteurs sociaux.

Ces États généraux sur l’information vont bien entendu prendre acte des grands paramètres qui menacent le travail des journalistes dévoué au service de l’intérêt public:
  •       - Pertes d'emplois massives et précarité des revenus
  • -       - Concentration de la propriété très élevée
  • -       - Diversité menacée par la convergence
des médias
  • -       - Omniprésence des mêmes commentateurs et producteurs d'opinions

  • -       - Débat public appauvri
  • -      -  Journalisme de marché, qui privilégie l’anecdotique et le superficiel
  • -       - Pigistes bien souvent forcés de travailler à rabais
  • -       - Démantèlement de Radio-Canada 

  • -       - Télé-Québec absente de l’information régionale
  • -       - Médias sous influence économique, principalement en région

  • -       - Influence du médiatique sur le politique

  • -       - Influence du politique sur le médiatique
  • -       - Crédibilité et confiance fragiles de la part des publics

Inclure tous les acteurs de la communication publique
La liste n'est pas exhaustive bien entendu. Mais elle est surtout partielle et partiale en cela qu’elle se limite au milieu médiatique. Or, l’information destinée aux citoyens n’est pas le monopole des médias et de leurs journalistes.

D’autres acteurs ont droit de cité, produisent de l’information et doivent être conviés à ces États généraux. Il s’agit de ceux - individus, groupes, associations diverses, entreprises et institutions publiques - qui ont un rapport direct ou indirect avec le respect des droits énoncés plus haut, avec leur renforcement aussi.

Ainsi, on ne peut pas traiter sérieusement des droits évoqués ici sans se soucier de prendre en compte les doléances et attentes légitimes des citoyens. Ce qui ne veut pas dire de s’y plier inconditionnellement. Mais comment peut-on prétendre œuvrer pour des publics absents de la conversation qui les concerne en premier lieu ? Un vrai débat sur l’information ne peut pas se limiter aux conditions de travail des journalistes ou aux modèles économiques des médias, mais il peut encore moins évacuer ces enjeux fondamentaux.

Il s’agira de savoir, notamment, quelles garanties formelles les médias offrent quant à leur indépendance, face aux pouvoirs politiques et économiques notamment. Quels mécanismes d’imputabilité indépendants, contraignants, crédibles et efficaces ils sont prêts à créer pour assurer la protection des citoyens injustement traités par ces mêmes médias. De telles préoccupations sont directement liées à la responsabilité sociale des médias, qu’on peut aussi nommer la liberté responsable des médias. Elles ne sont aucunement liberticides.

Il faut aussi savoir quelles mesures les institutions publiques sont prêtes à implanter pour garantir la transparence et un accès efficace à l’information concernant le fonctionnement de l’État dans sa multitude d’entités, de ministères, de services publics, de contrats, etc. Quelles seraient les sanctions à l’endroit des gestionnaires des organismes publics qui refusent de se plier à ces règles de transparence ? Quelles règles pourraient favoriser l’accès des médias aux salles d’audience des tribunaux sans pour autant menacer les droits des justiciables, sans les stigmatiser davantage au risque de les voir hésiter à témoigner ou même à porter plainte. Le souci, toujours, de trouver des équilibres là où on est habitué d’assister à de stériles revendications unilatérales, voire égocentriques.

Il serait impératif également de convoquer les experts en relations publiques qui sont à l’origine de presque la moitié des nouvelles diffusées à toute heure par les médias. Quels engagements acceptent-ils de prendre pour éclairer le débat public plutôt que de contribuer à l’occultation? Quel mécanisme d’imputabilité crédible, indépendant et efficace sont-ils prêts à implanter pour sanctionner leurs membres qui cherchent à tromper le public ? Quelle garantie déontologique peut-être exigée à leur endroit, de la part des organismes publics qui ne devraient aucunement encourager, avec des fonds publics, des firmes reconnues pour avoir élaboré des stratégies visant à tromper ce même public ? N’y a-t-il pas lieu d’exiger de ces spécialistes de l’opinion publique et de la persuasion les mêmes obligations d’intégrité professionnelle que l’on attend des entrepreneurs de travaux publics ?

Quels engagements en matière d’éducation aux médias, quelle place pour l’aide publique aux médias alternatifs ou communautaires, quelles mesures pour protéger les journalistes indépendants dans un contexte de concentration de la presse qui favorise les conglomérats médiatiques, quelle place pour un exercice de la pensée critique appliquée aux communications et aux médias, quel scénario pour redonner aux communautés des médias que des propriétaires menacent fermer ou transformer radicalement?

Se dégager de ses intérêts particuliers
Ce ne sont pas les enjeux d’importance qui manquent. Il ne fait pas de doute que d’autres peuvent s’ajouter à ces États généraux sur l’information où les parties prenantes doivent élaborer une vision claire de l’avenir.

Il y a cependant une condition préalable au succès, et même à la pertinence d’un tel évènement d’envergure : chaque intervenant doit être en mesure de se dégager de ses intérêts particuliers au nom du droit du public à une information de qualité, diversifiée et intègre. Cela signifie d’accepter a priori que certaines revendications récurrentes et particulières soient réévaluées et considérées à l’aune des revendications tout aussi légitimes des autres parties prenantes.

La recherche de l’équilibre, de l’équité, encore une fois, plutôt que de répéter dans un nouveau théâtre les sempiternels affrontements entre syndicats et patrons, entre journalistes et relationnistes, entre groupes de pression.

Cette double obligation de distanciation et de décentrement est le premier pas à faire et il sera certainement le plus douloureux pour tous. Mais il est aussi le plus émancipateur. Il libère les esprits, les rend disposés à écouter d’autres discours tout aussi légitimes, à rechercher des pistes novatrices, ou à explorer des solutions ignorées ou marginalisées.

Si le Québec parvient à tenir de tels États généraux sur l’information, il sera en mesure de se doter d’un nouveau contrat social, de se tourner vers des solutions concrètes – mais jamais parfaites - à des problèmes sérieux. Il sera sans doute un modèle pour d’autres sociétés confrontées aux mêmes défis.


S’il refuse de le faire, il n’y aura pas de grande catastrophe à court terme. Simplement la continuation d’une morosité de plus en plus profonde, incapacitante et déprimante. Une lente détérioration de la qualité, de la diversité, de l’indépendance et de l’intégrité d’une information pourtant essentielle à la vie démocratique. Une lente régression, en somme, dans un monde où l’information est essentielle à la qualité de vie, dans ses composantes intellectuelles, culturelles, sociales, économiques et démocratiques.