jeudi, mars 12, 2009

Quebecor renie sa parole donnée aux députés de l'Assemblée nationale du Québec



On apprend que Quebecor va se retirer de la Presse Canadienne qui va ainsi perdre un de ses sociétaires.

Cette décision est tout à fait à l'opposé de ce que Quebecor déclarait lors de la Commission parlementaire de la Commission de la culture, tenue en février 2001, qui se penchait justement sur les risques de la concentration de la presse.

Dans le rapport final, les membre du Comité sur la culture écrivaient que Pierre Francoeur, président de Sun Media [ainsi que Guy Crevier, de Gesca], avaient souligné que Quebecor et Gesca « avaient toujours soutenu l'agence et qu'elles continueraient à le faire parce qu'il est dans leur intérêt, et dans celui du Québec en général, que la Presse canadienne se maintienne ».

L'engagement de Quebecor visait à rassurer ceux qui s'inquiétaient de voir ce conglomérat se retirer de la PC maintenant qu'il détenait les moyens de créer sa propre agence de presse interne...


Voici ce que déclarait M. Neveu: « Au niveau de La Presse canadienne, Quebecor, par le biais de ses quotidiens, fait partie de La Presse canadienne depuis plusieurs années déjà. Nous contribuons financièrement à La Presse canadienne; La Presse canadienne est une coopérative. Nous avons été partie prenante de la restructuration de La Presse canadienne, il y a quatre ans, lorsque le groupe Southam ― groupe de M. Conrad Black ― avait menacé de quitter La Presse canadienne, et ça remettait en question la survie de La Presse canadienne. Donc, nous avons été parmi les artisans pour relancer La Presse canadienne; nous le demeurons toujours. Et les journaux Quebecor vont continuer de supporter La Presse canadienne, parce que c'est notre intérêt et c'est également l'intérêt des publications au Québec, parce que, vu que c'est une coopérative, nous fournissons énormément de nouvelles à La Presse canadienne dont les petits joueurs dans les petits marchés peuvent bénéficier des nouvelles que nous fabriquons nous-mêmes. C'est un échange coopératif. Donc, c'est tout à fait clair que nous allons continuer dans cette direction ».

mercredi, février 18, 2009

Sources anonymes et secret des sources : respecter sa parole jusqu’à la prison…

Marc-François Bernier (Ph.D.)
Chaire de recherche en éthique du journalisme (CREJ)
Université d’Ottawa
mbernier@uottawa.ca

Quand un journaliste promet l’anonymat à une source d’information, il s’engage à respecter sa parole jusqu’à la prison s’il le faut. C’est ce qui menace le journaliste Daniel Leblanc, du quotidien Globe and Mail.

Leblanc est considéré comme le journaliste qui a mis au jour ce qui allait devenir le scandale des commandites. Pour ce faire, il a eu l’aide d’une source qu’il désigne sous le nom de code de Ma Chouette. Mais qui est est-elle ?

C’est ce que veulent savoir les avocats du groupe Polygone, poursuivi par le gouvernement fédéral pour une somme de 40 millions $. Ils veulent connaître l’identité de cette source anonyme afin de démontrer que le gouvernement fédéral savait depuis longtemps qu’il y avait des irrégularités liées au scandale des commandites. Leur but serait de faire avorter la poursuite sous prétexte qu’il y aurait prescription, comme l’explique le journaliste Yves Boisvert, de La Presse.

Il y a bien entendu des aspects juridiques à ce litige, mais aussi des dimensions qui relèvent de l’éthique et de la déontologie du journalisme.

En effet, la règle déontologique prescrit aux journalistes d’identifier leurs sources d’information afin de rendre cette information plus crédible et de faire la preuve que de telles sources existent bel et bien. De plus, cela permet au public d’évaluer les compétences et les motivations des sources. Par ailleurs, ceux qui sont visés ou mis en cause peuvent savoir qui les attaquent.

Il existe toutefois des circonstances où un journaliste est justifié d’accorder l’anonymat à une source, ce qui devrait être une mesure exceptionnelle car les sources anonymes peuvent aussi être des vecteurs de désinformation. On l’a vu amplement dans la façon dont elles ont été utilisées, grâce à une complaisance médiatique qui frôlait la complicité, pour convaincre le peuple américain qu’il fallait envahir l’Irak sous de faux prétextes.

Pour prendre la meilleure décision qui soit, plusieurs critères doivent être considérés afin d'en arriver à un jugement bien pesé :
- Cette information est-elle si importante pour le public et existe-t-il d’autres sources identifiables pour l’obtenir?
- Cette information sert-elle plutôt les intérêts de la source?
- Ai-je évalué et soupesé les bienfaits et les torts potentiels pour les autres ?
- La source est-elle vraiment menacée de représailles si son nom est associé à cette information?
- Serai-je en mesure de justifier publiquement pourquoi j’ai accordé l’anonymat à cette source?
- Le public sera-t-il en mesure de juger de la fiabilité et de la crédibilité de la source anonyme à partir de la description que j’en aurai faite?
- À moins d’avoir une source très fiable, puis-je vérifier les affirmations de la source anonyme et solliciter un point de vue différent avant la publication de l’information?
- Ai-je révélé l’identité de la source anonyme et ses qualifications à mon employeur et la source est-elle d’accord avec cette démarche?
- Suis-je prêt à aller en prison pour défendre ma décision d’accorder l’anonymat et ai-je demandé à la source si elle était prête à révéler son identité si une telle menace pesait sur moi?


Le journaliste qui accorde l’anonymat à la suite d’une réflexion éthique de ce genre en arrive à une décision solide qui l’aidera à faire face à ceux qui veulent lui faire dévoiler l'identité de sa source d’information. C’est lorsque des autorités exigent de connaître cette identité qu’une source anonyme devient une source confidentielle et que se pose la question du secret des sources.

La déontologie veut que le journaliste qui a promis l’anonymat respecte sa parole. Il s’agit d’une forme de contrat. Il ne peut être libéré de son engagement que par la source elle-même, ou encore si le journaliste se rend compte qu’il a été dupé par cette source, laquelle a ainsi trompé le public et a nié son droit à une information de qualité.

Dans le présent litige, l’importance politique et économique du scandale des commandites justifie certainement de protéger l’identité d’une source que l’on soupçonne être au sein du gouvernement du Canada. Il fait peu de doute que Ma Chouette risque des représailles si elle est connue des autorités. De plus, l’enquête du juge Gomery a montré que le scandale existait vraiment et que ses responsables étaient situés aux plus hauts échelons du gouvernement fédéral. La source n’a donc pas trompé le public.

Finalement, c’est pour une simple question de procédure que Polygone veut connaître son identité, et non afin de prouver son innocence.

On est loin ici des arguments juridiques solides qui plaident en faveur une immunité relative des journalistes en matière du secret des sources, et qui pourraient justifier que les tribunaux exigent cette identité.

En effet, dans certains pays (la Belgique notamment), les lois protègent le secret de sources, sauf si la divulgation de l'identité d'une source peut prévenir des infractions criminelles ou lorsqu’il s’agit réellement de la seule façon d’obtenir une information, étant entendu que cette information est capitale pour le déroulement d’un procès.

Selon le Sénat de France, la Cour européenne a établi des critères dans sa jurisprudence :
« - l'existence d'un impératif prépondérant d'intérêt public. La Cour de Strasbourg n'a pas fixé de liste d'infractions susceptibles d'être qualifiées d'impératif prépondérant d'intérêt public. Elle admet que soient qualifiés ainsi des infractions ne consistant pas en une atteinte à l'intégrité physique des personnes ou aux intérêts fondamentaux de la Nation ;
- la nécessité de l'atteinte, c'est-à-dire l'importance de l'information recherchée pour réprimer ou prévenir l'infraction ;
- la proportionnalité de l'atteinte. La Cour vérifie notamment si d'autres mesures n'auraient pas permis de parvenir aux mêmes résultats » .

Il n’est pas évident que ces critères s’appliquent à la cause de Polygone.

De toute façon, une telle loi n’existe pas encore au Canada et le journaliste Leblanc en sera peut-être la prochaine victime.

lundi, janvier 26, 2009

Les abus de pouvoirs de Quebecor envers ses journalistes résultent de l’indifférence des parlementaires québécois

Marc-François Bernier (Ph.D.)
Titulaire, Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en communication, spécialisée en éthique du journalisme (CREJ)
Professeur agrégé
Coordonnateur du programme de journalisme
Département de communication
Université d'Ottawa
mbernier@uottawa.ca



En répétant le scénario de la mise à pied de ses journalistes et autres employés du Journal de Montréal, comme elle l’avait fait au Journal de Québec, la direction de Quebecor prouve une fois de plus qu’elle abuse du pouvoir immense, et déséquilibré, que lui ont accordé les parlementaires du Québec.

Depuis que Quebecor possède à la fois deux des principaux quotidiens du Québec, le principal réseau de télévision privé (TVA) et le principal câblodistributeur (Vidéotron), il est évident que cela place ses dirigeants dans une posture de domination sans précédent dans l’histoire moderne des médias québécois. Plutôt que de négocier avec ses employés, plutôt que de travailler à les persuader qu'il faut changer les choses, plutôt que d'accepter que les transformations du journalisme doivent se faire en respectant les conditions qui favorisent la qualité du journalisme, la direction a la capacité stratégique d'imposer la confrontation et l'affrontement.

Cela ouvre grande la porte aux abus de pouvoir dans une situation où l’équilibre des rapports de force est rompu car l’employeur peut mettre à la rue des centaines de travailleurs, journalistes ou autres, sans subir de graves pertes économiques puisqu’il peut compter sur le travail de nombreux cadres et d’une foule de journalistes à l’œuvre dans d’autres médias pour tenter de compenser l’absence de ses employés locaux. Si Quebecor cumule les conflits de travail, cela ne peut se faire que grâce à sa position d’oligopole médiatique obtenue avec le consentement de la grande majorité des parlementaires du Québec, de tous partis politiques confondus.

L’abus de pouvoir de Quebecor est aussi visible dans les demandes faites récemment aux journalistes pigistes afin qu’ils cèdent entièrement leurs droits d’auteurs, à défaut de quoi leurs services ne seraient pas retenus par certaines entités du conglomérat.

Ce scénario d’abus de pouvoir était anticipé dès 2001, au moment de la Commission parlementaire sur la concentration des médias au Québec. Tour à tour, de nombreux représentants des journalistes, des médias indépendants et certains universitaires avaient clairement averti les parlementaires de tels risques.

Certains voulaient que l’Assemblée nationale du Québec limite la concentration et la convergence des médias, d’autres voulaient plutôt que tout accroissement de concentration et de convergence soit compensé par un accroissement de l’imputabilité et l’établissement de mécanismes visant justement à limiter la domination de Quebecor face à des journalistes qui ne peuvent pas toujours se défendre contre un tel conglomérat.

En février 2001, intervenant devant cette Commission parlementaire, j’enjoignais les parlementaires à limiter la position de domination des grands conglomérats médiatiques face aux journalistes pigistes d’une part, et face aux journalistes des salles de rédaction d’autre part.

Concernant les pigistes, je soumettais que :

«  Par ailleurs, forts de leur puissance économique et de l’étendue de leurs pouvoirs, les employeurs se retrouvent également en position avantageuse face aux pigistes, qui sont autant de travailleurs autonomes au statut le plus souvent précaire. Depuis quelques années, ces travailleurs autonomes, véritables entrepreneurs, ont dû se regrouper au sein d’un syndicat (Association des journalistes indépendants du Québec - CSN) pour tenter de s’opposer aux puissants éditeurs qui refusent de leur reconnaître un élémentaire droit d’auteur qui s’étendrait au-delà de la première diffusion ou première publication. On ne peut trouver meilleur indice de ce qui attend les autres acteurs sociaux qui auront à se frotter aux barons des médias québécois dans un proche avenir, ni un meilleur test pour juger de l’éthique capitaliste des propriétaires de médias lorsqu’ils sont en situation de domination. L’éthique capitaliste est souvent incompatible avec les principes de liberté de pensée et d’expression de l’éthique démocratique lorsque cela risque de nuire le moindrement à la bonne marche des affaires ou, simplement, lorsque l’exercice de cette liberté contrarie l’employeur et ses représentants. Le gouvernement doit donc intervenir, venir en aide aux acteurs défavorisés par la concentration et la convergence, notamment en accordant rapidement un statut particulier aux journalistes, statut qui reconnaîtra leurs droits d’auteurs et l’obligation pour les dirigeants des médias de négocier avec les représentants des journalistes, en s’inspirant du modèle de l’Union des artistes ».

Je recommandais alors aux parlementaires d’accorder « un statut légal aux journalistes indépendants afin qu’ils puissent négocier et profiter d’un meilleur rapport de force dans leurs relations d’affaires avec les dirigeants des médias d’information ».

En ce qui concerne les situations de grève et de lock-out, qui mettent en cause l’équilibre du rapport de force entre les parties, j’enjoignais là aussi les parlementaires à prendre des mesures pour éviter que les conglomérats puissent abuser d’une trop grande domination :

« Le même déséquilibre favorable aux propriétaires de médias se présente en ce qui concerne leurs rapports avec leurs employés syndiqués. L’ultime moyen de pression dans le rapport de force entre patronat et syndicat est le recours à la grève ou au lock-out. Dans un univers concentré comme celui qui s’annonce au Québec, le droit de grève des syndiqués d’un média perdra considérablement de son importance puisque ce média pourra facilement combler le manque d’information en s’approvisionnant à ses autres salles de rédaction. Cela s’est passé au Calgary Herald, qui appartenait alors à Conrad Black, soutient Anthony Westell, ex-éditorialiste du Globe and Mail et ex-directeur de l’école de journalisme et de communication de l’Université Carleton… Il faut intervenir pour protéger l’équilibre nécessaire à tout rapport de force et favoriser la paix sociale ».

Je recommandais alors que le « Gouvernement du Québec obtienne des dirigeants des médias l’engagement formel que les salles de rédaction des groupes de presse ne serviront pas à atténuer les effets d’une grève ou d’un lock-out affectant les autres médias ».

Les parlementaires du Québec, dont certains aimeraient bien rapatrier les pouvoirs fédéraux en matière de communication, avaient alors le pouvoir de modifier les règles du jeu afin de favoriser au Québec les conditions qui favorisent une meilleure qualité d’information grâce à plus d’équité dans le rapport de force entre les dirigeants des conglomérats médiatiques et les journalistes. Ils ont préféré l’indifférence et une confiance aveugle à l’éthique capitaliste qui a pourtant d’importantes faiblesses et limites quand l’intérêt public se le dispute à l’intérêt particulier.