mercredi, septembre 17, 2003

"À hauteur d'homme" ou l'incapacité de déjouer les tentatives de manipulation de l'opinion publique

Analyse dans le quotidien Le Soleil, mercredi 17 septembre 2003, p. A19

"À hauteur d'homme" ou l'incapacité de déjouer les tentatives de manipulation de l'opinion publique

Bernier, Marc-François

Contrairement à ce que certains soutiennent, le film «À hauteur d'homme» ne met pas en cause le rôle des journalistes de la tribune parlementaire, mais bien leurs méthodes qui trahissent leur incapacité à opposer des arguments substantiels aux discours des politiciens, si bien qu'ils doivent se rabattre sur des questions peu significatives qu'ils contrôlent mieux.

Soulignons dès le départ que le film de Jean-Claude Labrecque accorde beaucoup d'importance à une partie de la réalité qui porte sur les relations entre les élus et les journalistes. Il insiste sur la confrontation alors que celle-ci est plutôt exceptionnelle. En effet, il y a en réalité beaucoup plus de coopération et de connivence entre journalistes et politiciens. Ils jouent au hockey ensemble, vont à la pêche ensemble, mangent ou boivent ensemble et certains d'entre eux entretiennent des relations beaucoup plus amicales, sinon intimes. Dans le cours normal des choses, ils s'échangent des faveurs qui prennent la forme de fuites, d'exclusivités et de mises en valeur de certains dossiers. Le plus souvent, c'est cette connivence qui fait l'objet de critiques sous prétexte qu'elle ne sert pas bien le droit du public à l'information.

Dans le contexte d'une campagne électorale, cependant, les règles et les conventions normales sont partiellement levées en raison de l'importance cruciale de l'enjeu. On se retrouve donc avec deux clans qui doivent vivre à l'étroit pendant quelques semaines. Chaque clan a des objectifs très différents. D'un côté, il y a une formation politique incarnée par un chef qui veut faire passer en direction du public des messages qui lui sont favorables. Idéalement, ce message ne sera pas déformé ou réinterprété par les journalistes. Il faut donc tenter de contrôler le plus possible les journalistes, lesquels restent incontournables, ce à quoi les partis politiques consacrent des ressources très importantes.

De l'autre côté, on retrouve un groupe de journalistes qui acceptent de passer une partie du message, (il faut bien servir le public que l'on prétend représenter), mais qui ne veulent pas être de simples courroies de transmission. Ce groupe a aussi une certaine connaissance des thèmes qui seront abordés pour les avoir couverts dans certains cas, mais cette connaissance est somme toute superficielle (elle tient à des communiqués de presse, des points de presse, parfois de la documentation, des archives personnelles). Ainsi, les journalistes voient peu de nouveau dans les annonces du politicien et ils s'en désintéressent souvent.

Ironiquement, alors même que le public est peut-être le plus réceptif par rapportaux propositions des formations politiques, les journalistes se sentent blasés de se retrouver devant les mêmes interlocuteurs qui répètent souvent les mêmes propos ! En acceptant de suivre la campagne d'un chef, les journalistes se mettent pourtant eux-mêmes dans une situation où la nouveauté et la spontanéité ne sera pas souvent au rendez-vous alors que, par définition, ils cherchent ce qui leur semble nouveau.

D'autre part, ils veulent aussi montrer qu'ils ne sont pas dupes de la stratégie de communication du parti politique. Mais, contrairement aux sources politiques, ils n'ont pas les mêmes ressources pour assurer leur autonomie et soutenir leur questionnement critique à l'aide d'arguments documentés. Le plus souvent, les journalistes n'ont pas en main l'information permettant de mettre en boîte ou de contredire le chef ou l'organisation politique et ils n'ont pas accès à une variété de sources d'information non partisanes qui pourraient répliquer aux déclarations du jour. Ils doivent se contenter de confronter le leader aux commentaires de ses adversaires ou de certains groupes de pression qui ont la possibilité de faire entendre leurs discours traditionnels.

Étant en quelque sorte désavantagés dans ce jeu, il ne reste aux journalistes qu'à insister sur les apparences, les petites erreurs de parcours, les failles stratégiques car ils se retrouvent enfin sur un terrain qui les avantage. C'est une "solution" à leur incapacité de contredire substantiellement le message officiel tout en alimentant régulièrement leur média, surtout en ce qui concerne les médias électroniques qui demandent du matériel frais presque chaque heure. Cette posture les oblige cependant à opter pour la confrontation ou l'agressivité par rapport au refus obstiné (mais aussi stratégique) du leader politique de déroger à sa ligne de communication officielle.

Dans le cas de la prétendue "affaire Parizeau" par exemple, ils ne cherchent pas tellement à savoir si la déclaration rapportée par M. Charest pendant le débat est vraie ou fausse. Ils prennent pour acquis que l'ex-premier ministre a vraiment répété ses propos de 1995 et harcèlent M. Landry à ce sujet. Il est remarquable de constater qu'ils reprochent à M. Landry de ne pas avoir été informé de cette déclaration et, implicitement, décrètent qu'il s'agit là d'une qualité pour gouverner. Ailleurs, on cherche à dénaturer les propos de M. Landry pour tenter de lui faire dire que M. Charest aurait perdu la raison.

Cela est typique d'un "jeu" politico-médiatique qui fait le bonheur de ceux qui baignent tous les jours dans l'univers artificiel qu'est l'Assemblée nationale du Québec, mais c'est sans intérêt pour le grand public. Plusieurs enquêtes menées auprès de différents publics mettent en évidence le fait que les citoyens ne reconnaissent pas leurs préoccupations réelles dans les querelles et les controverses qu'alimentent et entretiennent les entreprises médiatiques et les appareils politiques. Ils ont de bonnes raisons de se désintéresser de la politique.

Le cas de Radio-Canada

Il faut s'arrêter un peu sur la prétendue partialité de la Société Radio-Canada. Il me paraît bien imprudent d'affirmer catégoriquement que la SRC a un agenda politique qui en ferait un organe de propagande et un adversaire du Parti québécois. Mais il est encore plus téméraire de soutenir fermement le contraire !

Bon nombre de faits suggèrent que la SRC n'est pas à l'abri des pressions politiques du gouvernement fédéral. La question de l'ingérence politique à Radio-Canada est évoquée, sinon dénoncée depuis plusieurs décennies. L'ex-ministre conservateur des Communications, Marcel Masse, en a déjà témoigné en disant que les libéraux demandaient des comptes sur la présence de journalistes "séparatistes" au sein de la SRC. En 1993, le syndicat des journalistes de la SRC s'inquiétait, mais en vain, de l'embauche d'une journaliste qui avait été attachée de presse d'un ministre conservateur en y voyant une menace pour la crédibilité de la SRC. Dans le cadre d'une recherche menée sur l'imputabilité journalistique de la SRC, un ancien ombudsman nous a déjà révélé que pour plusieurs "de la maison", Radio-Canada était toujours considérée comme une télévision d'État plutôt que comme une télévision publique, laissant clairement entendre que les pressions politiques étaient encore persistantes.

Les controverses de ces dernières années relativement aux cas de Robert-Guy Scully et de Normand Lester, tout comme celui du journaliste Claude Beauchamp qui oeuvre au sein du Conseil de l'unité canadienne mais demeure néanmoins en ondes, ont de nouveau alimenté la suspicion envers la Société d'État. À tout cela, il faut ajouter le fait que ceux qui se retrouvent à la tête de la SRC-CBC y arrivent grâce à des nominations partisanes du premier ministre canadien.

Sans y voir la "preuve" de la partialité des journalistes de la SRC, convenons qu'il y a de quoi alimenter la suspicion d'un candidat et de militants dont le credo est la souveraineté du Québec, laquelle menace l'unité nationale du Canada.

Au service d'un débat public de qualité

Le métier de journaliste est simplement d'informer le public, le mieux possible. Cela renvoie à des normes professionnelles tel servir l'intérêt public et diffuser la vérité avec rigueur, exactitude, impartialité, équité et intégrité. Cela demande bien entendu une certaine modestie puisque le journaliste doit demeurer en retrait sans s'effacer pour autant. Cela peut devenir difficile dans un contexte où le star system s'étend jusque dans les entreprises de presse qui cherchent à amplifier la notoriété de leurs journalistes pour en tirer un avantage commercial. Pour ceux que cela séduit, la tentation est grande de se substituer aux acteurs politiques.

Les journalistes ont toujours été l'objet de critiques et le seront toujours. Au lieu d'y voir fatalement une confirmation de la qualité de leur travail, et refuser du même coup une certaine autocritique, il y aurait lieu d'en profiter pour se questionner sur leur capacité d'alimenter un débat public de qualité.

Il ne faut pas chercher à faire dévier le débat, pour mieux l'étouffer, en prétendant que cela remet en cause le rôle des journalistes en démocratie. En réalité, cela met surtout en cause leur capacité d'échapper aux stratégies des politiciens en se donnant enfin les ressources qui leur permettront de les questionner de façon substantielle pour les forcer à rendre des comptes sur des enjeux et des problèmes réellement importants.

Dans ces conditions, les journalistes pourront résister de façon utile aux stratégies de "manipulation" de leurs sources et en tirer la certitude d'être critiqués pour de bonnes raisons professionnelles.


Docteur en science politique, l'auteur est expert en éthique du journalisme et professeur au département de communication de l'Université d'Ottawa.

lundi, juin 30, 2003

L’éthique et la déontologie comme éléments de la légitimité du journalisme

(Communication à la première Conférence internationale francophone en Sciences de l’information et de la communication (CIFSIC), Bucarest (Roumanie), le 30 juin 2003.)

Résumé
Alors que l’hybridation des genres communicationnels menace de miner la spécificité de la fonction journalistique, dévouée notamment à l’intérêt public et à la véracité de l’information, il est à la fois nécessaire et urgent de mettre au jour les conditions de la légitimité du journalisme. Celle-ci émerge d’un processus faisant appel à la notion de représentativité du contrat social, aux couples libertés/responsabilités et éthique/déontologie ainsi que de l’imputabilité des journalistes. Le modèle présenté par l’auteur dans un premier temps est suivi d’une typologie sommaire des enjeux liés à l’éthique et la déontologie journalistique.

(Activer le lien ci-dessus pour lire le fichier sur le site de la CIFSIC)

dimanche, juin 01, 2003

L'ombudsman français de la Société Radio-Canada: un modèle d'imputabilité de l'information

Résumé d'un article publié dans le Canadian Journal of Communication (vol. 28, no 3, 2003)


Marc-Francois Bernier, Department of Communication, University of Ottawa


Abstract
Abstract: In 1992, the Société Radio-Canada (SRC), French network of the Canadian Broadcasting Corporation, created an Office of the Ombudsman, mandated to address public complaints concerning journalistic practices. This article proposes first to better define the concept of journalistic accountability. After presenting a history of this function and giving an account of its relative scarcity, it describes the model of accountability set up at the SRC as revealed through an analysis of the annual reports from 1992-93 to 2000-01. Then it draws up a preliminary summary of the evolution of this form of journalistic self-regulation at the SRC.

Résumé : Depuis 1992, la Société Radio-Canada (SRC) s'est dotée d'un Bureau de l'ombudsman qui a le mandat d'enquêter sur les plaintes du public concernant les pratiques journalistiques. Le présent article propose d'abord de mieux définir la notion d'imputabilité journalistique. Après avoir dressé un historique de cette fonction et rendu compte de sa rareté relative, il décrit le modèle d'imputabilité mis en place à la Société Radio-Canada tel que le révèle une analyse des rapports annuels de 1992-93 à 2000-01. Enfin, il dresse un premier état des lieux de l'évolution de cette forme d'autorégulation journalistique à la SRC

jeudi, mai 15, 2003

Le sensationnalisme en journalisme : excès de la demande sur l’offre?

(Communication dans le cadre du congrès de l'ACFAS, 2003, à Rimouski. La présente version ne contient pas les schémas et graphiques. Une version complète est disponible sur demande)

Marc-François Bernier (Ph.D.)
Département de communication
Université d’Ottawa

«Le primat des faits sur les valeurs n'est qu'une des faces du postmoralisme médiatique. Dans sa réalité concrète, l'information est également une marchandise qui se vend en cherchant un public élargi; dans ces conditions, c'est un mixte de neutralité et de sensationnalisme, d'objectivité et de spectaculaire que présentent les media engagés dans une concurrence commerciale permanente.» (Lipovetsky 1992, 56)


Remarques préliminaires
La présente recherche s’intéresse, à titre exploratoire, aux traces de sensationnalisme médiatique dans quatre quotidiens francophones du Québec. Ayant analysé l’ensemble des articles publiés dans quatre quotidiens francophones du Québec dans les 28 jours suivant l’annonce de la naissance de la brebis Dolly – nous avons combiné analyse statistique de base et analyse qualitative. Après avoir fourni une définition opérationnelle du sensationnalisme journalistique, selon laquelle les articles sensationnalistes mettront en évidence des conséquences négatives du clonage par le biais d’anticipations inquiétantes, nous avons constaté que la présence de tels articles sensationnalistes était courante. Nous avons aussi vérifié la validité des intuitions théoriques de Frost, selon lequel le risque de sensationnalisme médiatique est plus élevé au début de la couverture médiatique d’un événement déclencheur car la demande du public en information y est plus élevée alors que l’information factuelle et rigoureuse est plus difficile à obtenir. De fait, le sensationnalisme médiatique était plus élevé dans les semaines 1 et 2, comparativement aux semaines 3 et 4.


Définir le sensationnalisme en journalisme.
On retrouve diverses définitions du sensationnalisme médiatique. Parmi celles relevant du sens commun, on retrouve la suivante qui provient du site Internet d’une commission scolaire de la région de Québec, dans le cadre d’un cours destiné à familiariser les adolescents aux médias :
«Le sensationnalisme consiste à dramatiser certains événements par le choix du titre, du vocabulaire, de la photo, c'est-à-dire à faire ressortir certains éléments pour attirer l'attention des spectateurs, des lecteurs. Souvent associé à la télévision, le sensationnalisme est également présent dans les médias écrits et est de fait lié à l'idée même de ce qui fait un événement ou une nouvelle, c'est-à-dire le caractère exceptionnel, prétendu ou réel, d'un fait sur lequel on désire attirer l'attention. Le terme «sensationnalisme» vient du terme «sensationnel», au sens de «qui fait sensation, produit une vive impression». Misant essentiellement sur les émotions du public, le sensationnalisme répond donc plus particulièrement au critère de l’intérêt humain de la nouvelle.» (Commission scolaire des découvreurs)

Ailleurs, on associe le sensationnalisme médiatique à l’exagération et la déformation de la réalité, notamment quand il est question de parler de certaines maladies (Langlois et al, 2002).

Chez les chercheurs et spécialistes des médias, le sensationnalisme médiatique a aussi droit à sa part de définitions. Certains parlent de couverture extensive d’un enjeu social de peu d’importance alors que des enjeux sociaux majeurs sont passés sous silence (Reisenwitz et Whipple 1999, 16, Kingdon 1984, 62). Sur le mode de l’ironie, on a même «découvert» une loi médiatique voulant que l'importance d'un événement soit inversement proportionnelle au nombre de journalistes affectés à sa couverture (Sigal 1987, 14). Adoptant une posture critique, Gingras décrit pour sa part le sensationnalisme comme «…ce qui produit une vive impression sur le public et rappelle un état psychologique temporaire à forte composante affective.» (Gingras 1985, 115)

En parlant de l’affaiblissement de la fonction de chien de garde du journalisme d’enquête pratiqué chez les grands réseaux de télévision commerciale aux États-Unis, Kovach et Rosenstiel sont d’avis que plusieurs de ces émissions ont des apparences de journalisme d’enquête, sauf qu’au lieu de surveiller les puissants et de protéger la société de leur tyrannie, ils s’intéressent surtout à la sécurité personnelle des gens ou à leur portefeuilles en dénonçant les mécaniciens douteux, le manque de sécurité des piscines publiques, etc. Ils se réfèrent notamment à une étude réalisée en 1997 concernant ces newsmagazines, présentés en heures de grande écoute, selon laquelle ce genre de journalisme ignore la plupart des enjeux typiquement reliés à la fonction de chien de garde de la presse. Ils déplorent également le traitement sensationnel d’enjeux parfois de grande importance dont traitent ces émissions (Kovach et Rosenstiel 2001, 120-121).

Certains associent le sensationnalisme à la multiplication de rumeurs et d’informations peu rigoureuses provenant souvent de sources anonymes, dont la diffusion est encouragée par un système médiatique hypercompétitif (Marks 1998). D’autres y voient le règne de l’information spectacle qui, pour des raisons commerciales, évacue l’information sérieuse au profit de contenus divertissants et légers (McCartney 1997, Sharkey 1997, Dennis et Pease 1994, Hayward 1998, Charron 1999), de plus en plus souvent diffusés en direct et en continu pour présenter des événements dramatiques ou excitants, telles les chasses à l’homme que mènent régulièrement les forces policières (Prato 1998). Mais il faut savoir que le sensationnalisme était déjà dénoncé dès 1947, par la Commission Hutchins, à cause de la sélection des informations en fonction de leur potentiel de divertissement (Bates 1995), si bien qu’il serait sans doute erroné de l’associer aux récentes tendances télévisuelles.

Dans la même veine, certains mettent en évidence les stratégies de marketing des bulletins de télévision qui encouragent les journalistes à susciter l’attention du public et à augmenter leurs cotes d’écoute - notamment lors de brèves interventions en direct dans le cours de la programmation normale - en lui promettant des nouvelles plus spectaculaires que ce qui sera présenté en réalité (MacManus 1990, 43).

On a aussi proposé des critères permettant de distinguer la couverture journalistique régulière de la couverture sensationnelle. Dans un texte publié originalement en allemand, dans Dutch magazine Massacommunicatie, mais traduit et diffusé sur Internet, Peter Vasterman, professeur à la Faculté de communication et de journalisme d’Utrecht (Pays-Bas) présente huit critères non exclusifs qui caractérisent le sensationnalisme médiatique. Selon lui, un épisode de sensationnalisme est caractérisé par :
1) La couverture massive d’un sujet qui parait nouveau parce qu’il avait été peu médiatisé auparavant : un tabou a été brisé, un nouveau problème social a été mis au jour. Un événement majeur inattendu peut avoir déclenché cette couverture intense.

2) Il y a une définition incertaine ou vague de ce nouvel événement ou de la tendance qui s’en dégage. On ne sait pas encore avec précision ce qui arrive et quelle forme définitive cela prendra.

3) Un étiquette sera accolée au nouveau phénomène et elle deviendra très populaire dans les médias.

4) On observe des traces de panique morale, de dégoût, de peurs ou d’anxiétés dans la couverture et dans la société.

5) La plupart des événements sensationnels se développent dans des secteurs névralgiques: invasion de territoire, santé personnelle, sexualité, comportements déviants, etc.

6) Il y a une couverture partiellement influencée, sinon mise en scène, de la part d’acteurs (gouvernements, groupes de pression, organismes etc.) qui ont des intérêts à faire valoir et qui essaient de contrôler la couverture médiatique.

7) Il se dégage une pseudo crise de la couverture des journalistes qui ont recours à des expressions fortes : «le virus de la violence», «une crise plus grave que les autres», «ce n’est que la pointe de l’iceberg», etc.

8) Toute l’attention et la publicité créent l’impression que le «problème» ou le phénomène social récemment découvert prend de plus en plus d’importance, qu’il s’amplifie. Ce processus d’amplification rend le problème plus visible en raison de la médiatisation et non pas en raison de son importance réelle (Vasterman 1995).

À plusieurs égards, les critères de Vasterman pourraient être observés dans la couverture médiatique ayant résulté de l’annonce, faite par des disciples de Raël, de la naissance présumée d’un premier être humain cloné, en décembre 2002, bien que cette possibilité ait été évoquée dans les textes publiés en 1997 comme en témoigne notre corpus. On pourrait aussi retrouver la présence de plusieurs de ces critères dans la couverture médiatique relative au Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) à compter d’avril 2003, ou encore dans la couverture d’événements dramatiques dont la portée sociale est exagérée, comme le sont bon nombre de faits divers ou des tendances criminelles (violence chez les jeunes, rage du volant, etc.).

Sur le plan normatif, MacManus considère que les journalistes qui dramatisent des enjeux sérieux par le recours aux émotions sont en conflit d’intérêts entre leur devoir professionnel de servir le public et leur obligation de servir les intérêts économiques de leur employeur (1992, 196-197). Dans les Normes et pratiques journalistiques en vigueur à la Société Radio-Canada, la notion de sensationnalisme est associée à l’utilisation exagérée de scènes de douleurs et de souffrances dont la diffusion est tolérée «seulement lorsqu’elles sont nécessaires à la compréhension d’une information importante» (SRC 2001, 58). En accordant une importance exagérée à certains types d’information au détriment d’autres dont la portée sociale est plus importante, les journalistes s’éloignent de deux principes professionnels importants. Premièrement, ils manquent au devoir de rigueur journalistique qui prescrit de rapporter les faits avec exactitude et de les interpréter convenablement. Deuxièmement, en manquant de rigueur, ils ne rendent pas justice à l’événement, à l’enjeu, aux institutions ou aux personnes qui sont en cause, si bien que cela les éloigne de leur devoir d’équité. Dans certains cas, le sensationnalisme médiatique transgresse surtout la norme de la rigueur, notamment quand il prend la forme d’arguments fallacieux (appel aux conséquences, caricature, appel à la peur, etc.), de titres non conformes aux faits et de mises en pages de nature à dramatiser l’événement. Dans d’autre cas, le sensationnalisme médiatique transgresse la norme de l’équité en dressant un tableau injuste d’un enjeu, d’un événement et de ceux que cela met en cause (chercheurs, philosophes, compagnies pharmaceutiques, médecins, gouvernements, etc.). Chez Olen, le sensationnalisme consiste à insister trop fortement sur l’aspect émotif et dramatique d’un événement. Il y voit une atteinte à la responsabilité sociale si cet élément est déterminant dans la décision de diffuser un reportage (1988, 107). Pour sa part, Deschênes (1996, 57) rapporte que la jurisprudence du Conseil de presse du Québec considère que les accusations de sensationnalisme «réfèrent à la volonté de la presse d’attirer l’attention, au détriment de sa responsabilité d’informer sur les sujets d’intérêt public».

Le sensationnalisme peut prendre la forme d’anticipations positives et de propositions dénuées d’esprit critique quant aux conséquences favorables de certaines découvertes génétiques en santé mentale. Par exemple, Conrad a procédé à une analyse de contenu de 110 articles publiés de 1987 à 1994, dans cinq journaux et trois magazines américains. Il a constaté que ces découvertes génétiques étaient annoncées en grande pompe mais leurs limites ou réfutations étaient passées sous silence, laissant intact l’optimisme qui avait été alimenté. Il a observé que si les articles étaient rigoureux sur le plan scientifique, leur optimisme contribuait néanmoins à magnifier les impacts positifs anticipés des découvertes et ne laissaient pas de place à la critique ou à l’examen des possibles conséquences négatives de ces percées scientifiques. Il estime que puisque la société entre dans une ère où la génétique sera un enjeu social déterminant, il est primordial de trouver un équilibre entre les espoirs et les craintes que contiennent les articles relatifs à la génétique et aux maladies mentales (2001, 225).

Cette approche du sensationnalisme basé sur l’optimisme des articles journalistiques nous paraît moins compatible avec l’acception courante du sensationnalisme qui, au contraire, ne serait que l’amplification momentanée de la posture courante du journalisme qui consiste à mettre en évidence la dimension négative ou pessimisme des faits sociaux afin d’informer le public des menaces qui le guettent. Plusieurs auteurs font référence au négativisme des journalistes, notamment dans le contexte de la couverture des élections, de la politique ou des institutions sociales (Gilsdorf & Bernier 1991, 12; Jones 1996, 119; Pfau, Moy et Kahlor 1999, 138), certains allant plus loin en parlant de cynisme (Lisée 1994, 660; Rosen 1995, 24 ; Twentieth Century Fund 1993 ). Le sensationnalisme médiatique nous paraît donc être l’amplification temporaire de cette tendance naturelle des journalistes à privilégier le côté négatif des événements. Pendant les épisodes de sensationnalisme, pour répondre rapidement à une demande d’information de la part du public, les journalistes gardent essentiellement la même posture mais multiplient les articles ou les reportages alarmistes sur un sujet particulier. Ce qui conduit notamment un chercheur comme Glassner (1999) à soutenir que les médias cherchent à faire peur afin d’en tirer des avantages économiques, plutôt que d’informer de façon rigoureuse et équilibrée.

Pour les besoins de la présente recherche, le sensationnalisme médiatique se caractérise avant tout par la présence importante d’énoncés négatifs quant aux conséquences sociales, économiques, morales ou scientifiques du clonage. L’importance relative de la présence d’anticipations inquiétantes dans les articles du corpus (par apport aux anticipations rassurantes, aux anticipations neutres, aux énoncés sans anticipations et aux énoncés sans objet) déterminera si on a affaire à un sensationnalisme bas, moyen ou élevé. On ne peut nier le caractère subjectif dans l’appréciation du sensationnalisme médiatique dans le cadre d’une recherche exploratoire qui veut surtout procéder à un premier tamisage du matériau. Cela explique pourquoi il nous a semblé raisonnable de catégoriser les niveaux de sensationnalisme des articles du corpus pour tenir compte de l’état encore perfectible des outils de mesure.

Outre cette caractérisation et catégorisation des niveaux de sensationnalisme médiatique, qui sont au cœur de la présente recherche, on peut identifier d’autres indices de sensationnalisme qui passent notamment par la mise en page et la titraille. Ainsi, un article sera considéré d’autant plus sensationnaliste que la proportion d’anticipations inquiétantes y sera élevée, que l’article sera publié dans des pages valorisées par les journalistes (A1, A3, A5, B1, B3, C1, D1, 1, 3 ou 5), qu’il sera coiffé d’un titre mettant en évidence la dimension morale ou futuriste du clonage (par opposition à sa dimension légale, économique ou scientifique par exemple), et qu’il sera accompagné d’au moins une illustration.

Les intuitions théoriques de Frost
Comment expliquer la présence d’articles sensationnalistes dans les journaux? Il nous semble que la mission économique de ces entreprises privées et l’exigence de maximaliser les profits soient les variables les plus pertinentes, surtout en présence de principes éthiques et règles déontologiques (rigueur, exactitude, équité) peu compatibles avec cette pratique journalistique.

Pour augmenter les revenus de l’entreprise, il faut des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs en grand nombre afin de pouvoir attirer les revenus de la publicité. Il faut aussi que ce public construit ait des caractéristiques qui intéressent les annonceurs, les plus importantes étant leur pouvoir d’achat et leur disposition à acheter des biens de consommation. Il y a donc en somme une double contrainte pour les médias : susciter l’attention d’un public déterminé, certes, mais pas avec n’importe quel contenu de façon à retenir un certain profil d’auditeurs. Il faut donc à la fois trouver des thèmes porteurs et savoir susciter l’attention du public, en plus de renouveler chaque jour l’intérêt de ce dernier afin de s’assurer de sa fidélité. Si certains enjeux se prêtent bien à ce défi (faits divers, crises sociales, catastrophes naturelles, confrontations de personnalités, témoignages humains, etc.), d’autres sont moins faciles à médiatiser (tendances économiques, causes de la pauvreté, découvertes scientifiques, processus législatif, etc.). Il survient toutefois des événements du second type qui soulèvent néanmoins un vif intérêt du public, pour lesquels les journalistes perçoivent une demande d’information qui doit être satisfaite dans l’immédiat afin de ne pas se laisser devancer par les médias concurrents. Le problème est que l’enjeu intéressant et important est souvent complexe et risque d’ennuyer l’auditoire. De plus, les journalistes sont bien souvent mal préparés à traiter de tels sujets qui exigent un bagage de connaissances spécialisées qui manquent à ces généralistes, sans compter que l’espace et le temps limitent leur capacité d’approfondir leurs connaissances.

Face à ces diverses contraintes, la stratégie la plus rentable demeure la superficialité, la simplification parfois abusive, l’exagération de certains faits ou d’hypothétiques conséquences sociales, économiques, morales, scientifiques, etc. Bref, nous retrouvons les germes du sensationnalisme médiatique, car les journalistes auront tendance à faire vite, à anticiper les conséquences de l’événement (pénibles ou euphoriques) plutôt qu’à l’expliquer, qu’à l’analyser ou à en fournir le contexte social, scientifique, politique ou historique approprié.

L’importance de la mission économique des entreprises de presse, et les conséquences que cela a sur la qualité de l’information diffusée par les journalistes ne laisse pas ces derniers indifférents. Au contraire, selon une importante enquête réalisée aux États-Unis, plusieurs admettent être désorientés par les exigeantes souvent contradictoires des normes de la profession, du public et des actionnaires. Aux prises avec le doute et la confusion, les journalistes sont en quelque sorte déphasés face à leur métier, une situation professionnelle qui tranche radicalement avec celle des généticiens qui, pour l’instant, estiment que leur travail est en harmonie avec les attentes du public en matière de santé, tout comme avec celles des actionnaires et des entreprises de ce secteur (Gardner et als. 2001, 6). Le sensationnalisme médiatique, en matière de clonage ou non, sans être un phénomène nouveau, pourrait être un indicateur de ce déphasage en raison de l’importance qu’il semble prendre.

En raison de la taille des salles de rédaction des entreprises de presse électronique commerciales (radio et télévision), qui est moins importante et moins diversifiée que celles des journaux quotidiens, en raison aussi des contraintes techniques des médias électroniques, les probabilités d’un traitement sensationnaliste de l’information sur des enjeux importants y sont plus élevées que dans la presse écrite. Cela rend encore plus intéressante l’analyse du sensationnalisme médiatique dans la presse écrite quotidienne qui peut devenir un indicateur du degré de sensationnalisme que l’on pourrait retrouver dans le cadre d’une analyse des informations télévisées sur certains enjeux d’importance.

C’est dans ce contexte que nous recourons aux intuitions théoriques de Frost à propos du sensationnalisme des médias. Selon lui, il existe des conditions favorables au sensationnalisme lorsqu’il se déroule un événement important (la mort de Lady Di par exemple), que le public est avide d’informations qu’il souhaite obtenir le plus rapidement possible, mais que ces informations sont encore rares ou parcellaires, si bien que les médias et leurs journalistes auraient tendance à exagérer des faits et des rumeurs non vérifiés et à montrer les mêmes scènes de façon répétitive afin de remplir le temps d’antenne ou combler l’espace médiatique (journaux, Internet, radio et télévision). Comme l’indique son modèle, les risques de sensationnalisme diminuent avec le temps, alors qu’augmente la disponibilité et l’exactitude de l’information en même temps qu’une certaine saturation ou lassitude de la part du public qui est prêt à accorder son attention à d’autres événements (courbe du niveau d’ennui). La zone de risque du sensationnalisme serait donc dans les premières heures et les premiers jours suivant l’annonce ou la découverte d’un événement de nature à captiver le public, alors que les informations disponibles sont à leur niveau le plus bas et que la demande du public est à son niveau le plus élevé.

À l’inverse, il y aurait des conditions défavorables au sensationnalisme des médias quand l’information sur un sujet est abondante, mais que l’intérêt du public pour cette information est peu élevé. Pour Frost, un problème existe quand le niveau d’intérêt ou le niveau d’ennui excèdent l’information disponible sur des enjeux d’importance. Dans le premier cas, il y a sensationnalisme médiatique, dans le second cas, il y a indifférence médiatique, ce que certains auteurs identifient comme les angles morts de l’information (blind spots) en raison du peu d’attention que les médias leur accordent, au point de les occulter (Hackett et als. 2000). Dans les deux cas, le service public du journalisme entre en conflit avec la mission économique des médias (Frost 2000, 20-22).

Si le modèle et les intuitions théoriques de Frost sont justes, le sensationnalisme médiatique devrait être plus présent dans les quotidiens de notre échantillon dès les premiers jours suivant l’annonce de la naissance de la brebis Dolly, en février 1997. Ce sensationnalisme médiatique sera caractérisé par la présence importante d’anticipations inquiétantes quant aux conséquences du clonage, présence qui sera plus importante dans les articles du corpus publiés dans les jours suivant l’annonce mais qui s’atténuera avec le temps.

Méthodologie
Dans un premier temps, pour vérifier cette hypothèse, nous avons procédé à une analyse de contenu qualitative d’un corpus exhaustif de 47 articles différents publiés dans les 28 jours ayant suivi l’annonce de la naissance de la brebis Dolly. La première période (P1) s’étend du 24 février au 9 mars 1997 et la deuxième période (P2) va du 10 au 23 mars 1997. Pour ce premier mois, le corpus regroupe tous les articles publiés dans quatre quotidiens francophones québécois (La Presse, Le Soleil, Le Droit et Le Devoir) ayant traité de clonage, à l’exception de quelques-uns où le mot clé «clonage» n’avait aucun rapport avec cet enjeu. Quand un article était publié dans plusieurs journaux, il n’était compté et analysé qu’une fois, le but de l’exercice n’étant pas de comparer entre eux les journaux mais bien de vérifier si les médias, dans leur ensemble, ont ou non favorisé une couverture sensationnelle du clonage en insistant sur les anticipations inquiétantes liées aux conséquences du clonage.

Pour des fins d’analyse de l’évolution de la couverture du clonage, nous avons fractionné ces deux périodes en quatre sous périodes (S1, S2, S3 et S4) qui sont en fait les quatre semaines du corpus. Les articles proviennent de la banque de données d’Actualité-Québec qui offre le contenu rédactionnel intégral de ces journaux.

Pour chaque article, la grille d’analyse tenait compte des éléments suivants : date de publication, identification du quotidien, page de publication, auteur (agence de presse ou journaliste maison), titre (aspect moral, aspect scientifique, aspect futuriste, aspect économique, aspect légal, autre), présence ou absence d’au moins une illustration, longueur, nombre de paragraphes, genre journalistique (nouvelle, éditorial, chronique ou commentaire, autre), nombre de paragraphes avec anticipations inquiétantes, nombre de paragraphes avec anticipations rassurantes, nombre de paragraphes sans anticipation, nombre de paragraphes avec anticipations neutres, nombre de paragraphes sans objet, niveau de sensationnalisme (bas, moyen ou élevé).

L’unité d’analyse n’est pas la phrase, mais le paragraphe, compte tenu que la convention en journalisme écrit est de développer une idée par paragraphe (Sormany 1990, 93). Bien entendu, cette règle n’est pas respectée de façon absolue, mais elle l’est suffisamment pour être opérationnelle pour la présente recherche. Chaque paragraphe sera codé globalement selon la nature anticipatrice ou non anticipatrice des énoncés qu’on y retrouve et en fonction de la catégorisation suivante. Une anticipation inquiétante (AI) évoque les conséquences ou les aspects du clonage considérés néfastes sur les plans social, politique, économique, moral, humain, etc. Une anticipation rassurante (AR) évoque les conséquences ou aspects du clonage jugés bénéfiques ou positifs. Une anticipation neutre (AN) fait valoir simultanément les deux aspects ou bien est une évocation humoristique ou très vague des conséquences du clonage. Des paragraphes sont considérés sans anticipation (SA). Bien souvent, les paragraphes SA sont des mises en contexte, des énoncés de fait, des rappels historiques ou des descriptions techniques des procédés de clonage utilisés. Dans le cas de quelques articles (éditoriaux et chroniques surtout) consacrés partiellement au clonage, on retrouvera d’autres anticipations ou énoncés classés comme sans objet (SO). Mentionnons que ces anticipations sont plus ou moins précises, plus ou moins documentées et peuvent n’être que des évocations de conséquences possibles.

Voici quelques exemples d’anticipations inquiétantes :

«Par ailleurs, une autorité britannique en matière d’embryologie, le professeur Martin Johnson, a exprimé son inquiétude sur les perspectives de clonage humain, que des excentriques fortunés pourraient tenter de s’accaparer sur le plan international» (La Presse, mercredi 26 février 1997, A17)

«Enfin à Londres, le physicien Joseph Rotblat, militant antinucléaire et prix Nobel de la Paix 1995, a exprimé son inquiétude devant les avancées scientifiques dans certains domaines, comme l’ingénierie génétique, qui pourraient résulter en moyens de destruction de masse encore plus facilement disponibles que l’arme nucléaire» (sic)». (La Presse, mercredi 26 février 1997, A17)

«Dans son roman Boys from Brazil, le romancier Ira Levin met en scènes des dizaines de clones génétiques d’Adolf Hitler, donnés en adoption à des familles reproduisant, d’aussi près que possible, l’environnement dans lequel avait baigné le futur führer.» (La Presse,vendredi 28 février 1997, B2)

«À plus forte raison que, depuis la publication des résultats de la recherche dans la revue Nature, jeudi, tout le monde connaît la «recette» pour dupliquer le matériel génétique d’une brebis et en produire des copies conformes à la tonne.» (Le Droit, samedi 1er mars 1997, 19).

Voici quelques exemples d’anticipations rassurantes :

«La philosophe pense que le passage du clonage de l’animal à l’être humain ne se fera pas ‘‘car ce serait menacer en quelque sorte la notion même d’humanité’’. Le problème de l’eugénisme et l’histoire trop proche du nazisme créent une pression très forte en faveur d’une interdiction internationale, dit-elle.» (Le Soleil, 1 mars 1997, A29)

«Au-delà des craintes sur les dangers pour l’humanité, la performance de l’équipe écossaise de Ian Wilmut… ouvre de réelles perspectives dans le domaine médical : production de médicaments, d’hormones et d’organes humanisés à partir d’animaux, modèles plus efficaces pour étudier les maladies humaines et pour une meilleure compréhension des cancers.» (Le Soleil, 2 mars 1997, A13)

«À l’autre bout de la lorgnette, les perspectives qu’ouvre la naissance de Dolly font saliver les chercheurs. ‘‘Au lieu de contribuer à l’appauvrissement génétique des cheptels, le clonage des adultes servira à constituer une banque génétique mondiale, croit M. Gavora. L’éradication de certaines maladies infectieuses et des défauts génétiques est également envisageable, de même que la production de médicaments contenus dans le lait de vache ou de mouton, une méthode beaucoup moins coûteuse que les laboratoires pharmaceutiques. Quant à l’amélioration de la qualité et de la quantité de la viande ou du lait, elle viendra plus tard, car ces caractéristiques impliquent plusieurs gènes.’’» (La Presse, 2 mars 1997, B12)

Quelques exemples d’anticipations neutres :

«En produisant un clone animal adulte, l’équipe d’Édimbourg a franchi un pas important dans la maîtrise de ces techniques, porteuses d’espoir en biologie et en médecine mais aussi de craintes face au risque de détournement à des fins éthiquement inacceptables, comme l’eugénisme.» (La Presse, 25 février 1997, A8)

«Toutefois, à cause des risques énormes de dérive qu’elle suscite, la découverte de l’équipe écossaise dérange le professeur Pothier autant qu’elle le fascine.» (Le Soleil, 1er mars 1997, A29)

«‘‘Peut-être que le monde aurait besoin de plus d’Einstein, mais on risquerait aussi d’avoir plus d’Hitler’’, a commenté le professeur Pei.» (La Presse, 2 mars 1997, B11)

Voici quelques exemples d’énoncés de paragraphes considérés comme sans anticipation :
«Dans un autre ordre d’idées, on a fait savoir hier que la désormais célèbre brebis D’Édimbourg a été prénommée Dolly en hommage à l’avantageuse silhouette de la chanteuse américaine de country Dolly Parton.» (La Presse, 27 février 1997, C6)

«Le travail de l’embryologiste Ian Wilmut, du Roslin Institute d’Édimbourg, repose ailleurs : dans la création d’un clone à partir d’une cellule unique prélevée sur une brebis adulte.» (Le Droit, 1er mars 1997, p. 19)

«Les scientifiques avaient jusqu’à présent réussi à cloner des lapins, des moutons et des veaux, exclusivement à partir de cellules embryonnaires ‘totipotentes’, c’est-à-dire indifférenciées et pouvant être à l’origine d’un être entier, comme la première cellule d’un œuf fécondé issue de la fusion du spermatozoïde et de l’ovule.» (Le Soleil, dimanche 2 mars 1997, A13).

Pour qu’un article soit considéré comme sensationnaliste, il doit contenir une certaine proportion d’anticipations inquiétantes. Trois niveaux de sensationnalisme ont été définis en fonction de cette proportion. Un article se retrouvera dans la catégorie sensationnalisme bas si le nombre de ses paragraphes contenant des anticipations inquiétantes est plus élevé que le nombre de paragraphes contenant des anticipations rassurantes (AI > AR). Un article se retrouvera dans la catégorie sensationnalisme moyen si le nombre de ses anticipations inquiétantes représente plus de 20 % du nombre total de paragraphes. Cette proportion de 20 % est basée sur le fait que chaque paragraphe peut avoir un des cinq types mentionnés plus haut (AI, AR, AN, SA et SO), si bien que la proportion «normale» des AI devrait être de 20 % et tout surplus à ce chapitre accroît le caractère sensationnaliste de l’article (AI > 20 % du nombre de paragraphes). Un article se retrouvera dans la catégorie sensationnalisme élevé si le nombre de ses anticipations inquiétantes représente plus de 25 % du nombre total de paragraphes qu’il contient. Cette proportion de 25 % est basée sur le fait que les paragraphes classés SO (sans objet) sont relativement rares dans le corpus, si bien qu’il nous a paru raisonnable de proposer que la proportion «normale» des AI devait être évaluée en fonction de seulement quatre types d’énoncés (AI, AR, SA et AN), même si les paragraphes SO sont pris en compte dans le nombre total de paragraphes de chaque article (AI > 25 % du nombre total de paragraphes).

Résultats
Il convient dans un premier temps de rapporter certaines statistiques générales. Observons tout d’abord que le nombre d’articles consacrés au clonage est important dans les deux premières semaines (n=37) mais chute radicalement dans les deux dernières semaines (n =10). Près de 79 % des articles ont été publiés pendant les 14 premiers jours (P1) suivant l’annonce de la naissance de Dolly. Si on fait le même exercice pour chacune des quatre semaines, on voit la séquence suivante ; S1 = 23 articles, S2 = 14 articles, S3 = 5 articles et S4 = 5 articles. La diminution du nombre d’articles consacrés au clonage est donc constante avec le temps, entre les premiers jours où on peut penser que l’intérêt est à son zénith et les derniers jours où les médias croient avoir atteint le taux de saturation de leur public. À des fins purement comparatives, mentionnons que pendant les quatre semaines précédant l’annonce de la naissance de la brebis Dolly - que l’on pourrait désigner comme (-P2 et –P1) - le nombre d’articles contenant le mot clé «clonage» était très peu élevé dans les quatre quotidiens (0 et 3 respectivement).

Le nombre moyen de paragraphes des articles diminue de semaine en semaine, passant de 11,4 paragraphes par article en S1, à 8,1 paragraphes en S2, puis 6,4 en S3. En S4, en raison de la présence d’un article long de 57 paragraphes (de loin le plus long du corpus), la moyenne augmente à 22,6 paragraphes. Rappelons que le nombre d’articles en S3 et S4 est peu élevé (n=5), ce qui rend cette mesure moins révélatrice de quelque tendance que ce soit. Le nombre d’articles est l’indicateur le plus révélateur de l’intérêt des quotidiens de notre corpus et on a vu qu’il est à son plus élevé en S1 et S2 avant de chuter considérablement en S3 et S4.

On constate que les 47 articles de notre corpus ont été publiés dans 33 pages différentes. Les pages les plus valorisées par les journalistes (A1, A3, A5, B1, B3, C1, D1, 1, 3 ou 5) ne sont pas toutes présentes mais celles qui le sont représentent 17 % du corpus. À elles seules, les pages A1, A3 et A5 représentent 12,8 % du corpus, ce qui peut indiquer que les quotidiens analysés n’ont pas cherché de façon marquée à mettre en valeur les articles traitant de clonage.

Par ailleurs, 34 % des articles traitant du clonage étaient accompagnés d’au moins une illustration, cette proportion grimpant à près de 38 % pendant les deux premières semaines, (39 % pour S1). On dénote ici une volonté manifeste des entreprises de presse de mettre en valeur ce genre d’articles. Toutefois, seulement 8,5 % des articles du corpus étaient à la fois publiés dans des pages valorisées et accompagnés d’au moins une illustration. Encore une fois, cette faible proportion ne semble pas dénoter une volonté marquée de mettre en valeur les articles traitant du clonage pour ces deux indicateurs, même s’il est indéniable que l’intérêt médiatique pour le clonage a été gonflé par l’annonce de la naissance de Dolly.

Quant aux titres coiffant les articles du corpus, ceux qui ont insisté sur l’aspect moral représentent 40,4 % du corpus contre 32 % pour les titres misant sur l’aspect scientifique. L’aspect légal vient au troisième rang (12,8 %), suivi des titres misant sur l’aspect futuriste (6,4 %) et l’aspect économique (4,2 %). Si on tient compte des catégories de titre pouvant le plus être considérés comme sensationnalistes par les enjeux et les inquiétudes qu’ils soulèvent (aspects moral et futuriste), on observe qu’ils représentent près de 47 % du corpus. C’est surtout lors de la deuxième semaine que cette tendance a été marquée (57 % des titres de S2).

Parmi les articles publiés dans des pages favorisées par les journalistes, on retrouvait le plus souvent ceux qui étaient coiffés de titres mettant en évidence l’aspect moral du clonage (50 % des cas) et cela a été surtout marqué dès la première semaine. Si on ajoute les titres insistant sur l’aspect futuriste du clonage, on se retrouve avec une proportion de 62,5 % des articles publiés dans les pages valorisées. On peut donc dire que les bonnes pages des quotidiens ont été le plus souvent utilisées pour des titres misant sur la dimension morale ou futuriste du clonage, au détriment des aspects scientifiques, économiques et légaux.

Nous observons également que l’importance des anticipations inquiétantes a diminué avec le temps. Ainsi, la moyenne des AI par article en P1 vs P2 a diminué (2,16 vs 2.10), celle des AR pour les mêmes périodes a légèrement augmenté (1,41 vs 1,50), celle des AN a également diminué (2,19 vs 1,7) tandis que la moyenne des SA par article a augmenté de façon importante entre ces deux périodes (3,89 vs 8.6).

Cela témoigne que les paragraphes contextuels (SA) ont été nettement plus importants passées les deux premières semaines. Même si on ne décèle pas de différence statistiquement significative, on constate que, au fil des jours, les anticipations inquiétantes ont pris moins de place, au profit des anticipations rassurantes (AR) et des paragraphes contextuels sans anticipation (SA), bien que cette tendance soit faible.

Si on trace l’évolution quotidienne de la présence des anticipations rassurantes dans les articles du corpus, on constate que les neuf premiers jours ont été les plus fertiles en terme d’articles contenant une proportion élevée d’anticipations inquiétantes. Cette évolution est conforme aux intuitions théoriques de Frost et confirme notre hypothèse qui en était dérivée.

En effet, on constate que la mise en contexte dans les textes traitant de clonage (paragraphes sans anticipation) a souvent dominé la présence de paragraphes contenant des anticipations inquiétantes, qui eux ont souvent été plus nombreux que les paragraphes contenant des anticipations rassurantes. Le nombre quotidien des paragraphes catégorisés comme des anticipations neutres a également suivi la tendance générale. Les neuf premiers jours ont été certes les plus actifs, suivis d’une période d’apaisement médiatique (J10 à J17), d’une période de sommeil relatif (J17 à J22) et de quelques soubresauts (J22 à J27), la période d’étude se terminant avec un seul article de fond (J28) rédigé par une journalistes spécialisée en sciences et santé, ce qui explique la forte présence de paragraphes contextuels et explicatifs (sans anticipation).

Une tendance, mais non statistiquement significative
Selon la définition retenue du sensationnalisme (bas, moyen ou élevé) en fonction de la présence d’anticipations inquiétantes, on observe que la proportion d’articles sensationnalistes dans le corpus total de 28 jours varie entre 48,9 % (bas) et 27,6 % (élevé), avec 29,8 % pour le sensationnalisme moyen.

Il est risqué de tester statistiquement notre hypothèse en comparant P1 et P2, compte tenu du nombre peu élevé de textes en P2, ce qui est en soi révélateur de la chute d’attention médiatique qui a succédé à l’effervescence des premiers jours ayant suivi l’annonce de la naissance de la brebis Dolly. L’analyse statistique ne révèle aucune différence significative de la présence d’articles sensationnalistes entre P1 et P2.

On peut cependant noter que la proportion d’articles jugés sensationnalistes de niveau bas, moyen ou élevé varie entre ces deux périodes. Si on utilise une définition minimale du sensationnalisme (sensationnalisme bas), on se rend compte que 51,3 % des articles publiés en P1 sont dans cette catégorie alors que 40 % le sont en P2. Ces proportions chutent respectivement à 32,4 % et 20 % si on utilise une définition modérée du sensationnalisme (sensationnalisme moyen) en fonction de la présence des anticipations inquiétantes, comme on l’a vu plus haut. Finalement, en adoptant un critère plus exigeant quant à la proportion des AI (sensationnalisme élevé), les articles sensationnalistes élevés ne représentent que 29,7 % des articles publiés en P1 et 20 % de ceux publiés en P2.

Si, au lieu de découper le mois en deux périodes (P1 et P2), on le découpe en quatre sous périodes consécutives d’une semaine (S1, S2, S3, S4) on obtient une image plus précise de l’évolution des choses.

Bien qu’il n’y ait pas de relations statistiquement significatives entre ces quatre sous périodes et la présence d’articles sensationnalistes, on constate que la tendance au sensationnalisme médiatique varie beaucoup d’une semaine à l’autre et que cette variance est plus marquée quand on adopte une définition modérée du sensationnalisme (sensationnalisme moyen) qui chute à 0 % après avoir connu un sommet de près de 50 %.

Quand on prend en compte quatre critères de sensationnalisme, soit la proportion des anticipations inquiétantes (sensationnalisme bas, moyen ou élevé), la présence d’au moins une illustration, la publication de l’article dans une page valorisée par les journalistes et la présence d’un titre misant sur l’aspect moral ou futuriste du clonage, on n’obtient un seul et unique article (2,1 % du corpus).

Par ailleurs, en ce qui concerne les articles jugés sensationnalistes bas, il faut signaler que pour les 14 premiers jours du corpus, plus de 63 % des titres qui les coiffent mettent en évidence soit l’aspect moral (57,9 %) soit l’aspect futuriste du clonage (5,3 %). Cette proportion grimpe à 75 % si on retient une définition modérée du sensationnalisme (moyen) et est de 72,7 % si on retient une définition plus exigeante du sensationnalisme (élevé). Pour les 14 derniers jours, le faible nombre d’articles (n=10) rend cet exercice peu pertinent. Pour l’ensemble du corpus, on peut dire que les titres mettant en évidence l’aspect moral ou futuriste des articles jugés sensationnalistes bas représentent près de 60,9 % de ces derniers, contre 33 % des articles non sensationnalistes. On observe donc ici une tendance marquée à coiffer les articles sensationnalistes de tires qui insistent sur l’aspect moral ou futuriste du clonage.

On remarque que les articles des genres journalistiques liés à l’opinion (éditorial, commentaire ou chronique) sont nettement plus sensationnalistes que les articles factuels (nouvelle et analyse). En effet, 75 % des articles d’opinion font preuve d’un sensationnalisme bas contre 41,6 % des articles d’information. Ces proportions sont respectivement de 50 % et 25 % pour le sensationnalisme moyen, 37,5 % et 25 % % pour le sensationnalisme élevé.

Dans notre recherche, nous avons choisi d’associer le sensationnalisme à un cadre interprétatif pessimiste ou négatif qui accorde beaucoup d’importance aux conséquences potentiellement néfastes du clonage, notamment par la publication d’anticipations inquiétantes. Dans un contexte différent, lorsqu’il est question de génétique et de maladie mentale dans les articles de journaux, Conrad estime pour sa part que le cadre interprétatif dominant en journalisme est celui de l’optimisme. Il stipule trois choses : un gène causant la maladie existe, il sera trouvé et cela sera bénéfique (2001, 230). Dans le cas du clonage, ce cadre pourrait être le suivant : le clonage est possible, il a été réalisé et il aura des effets bénéfiques. Dans le cadre de la présente recherche, cet optimisme prend la forme d’anticipations rassurantes. Ces anticipations rassurantes ont caractérisé 12,8 % du total des paragraphes du corpus (67/525) alors que les anticipations inquiétantes représentent 19,2 % du corpus (101/525). Dans la grande majorité des cas (70 %), les anticipations inquiétantes publiées quotidiennement par les quatre journaux sont plus nombreuses que les anticipations rassurantes, même si les paragraphes contextuels ou explicatifs (SA) demeurent souvent les plus nombreux. La domination des AI sur les AR est plus visible dans les premiers jours comme le révèle le graphique suivant.

Les paragraphes sans anticipation représentent 43,8 % du corpus (230/525) tandis que les paragraphes contenant des anticipations neutres représentent 18,7 % (98/525). On voit que le cadre interprétatif dominant, pour le clonage, est celui des anticipations inquiétantes même s’il n’est pas statistiquement significatif et qu’il est souvent présenté au sein d’articles qui contextualisent l’information. Par définition, les paragraphes sans anticipation, surtout contextuels et factuels, ne forment pas un cadre journalistique interprétatif même s’ils n’y sont sans doute pas étrangers, l’opinion du journaliste face au clonage pouvant l’inciter à être plus ou moins contextuel. De plus, les articles qui ne contiennent aucune anticipation inquiétante sont deux fois moins nombreux que ceux ne contenant aucune anticipation rassurante (23,4 % vs 46,8 %) et seulement 14,9 % des articles du corpus ne contiennent ni anticipation inquiétante ni anticipation rassurante. Il se peut que le thème du clonage, à cause du bagage historique et culturel qui y est associé, soit davantage marqué négativement que celui de la recherche en génétique dont le traitement médiatique, selon Conrad, semble plus enclin à exploiter ses aspects positifs, réels ou non.

Conclusions
La présente recherche exploratoire suggère la pertinence des intuitions théoriques de Frost, lesquelles méritent systématisées et explicitées.

L’observation empirique des phases d’effervescence et d’apaisement de la couverture médiatique aide à mieux relativiser l’importance réelle des phénomènes qui font l’objet de l’attention subite des journalistes. Cette observation nous dit qu’il faut comprendre l’empressement médiatique à vouloir traiter d’un sujet nouveau, inattendu, voire dramatique alors que la curiosité du public, pour ne pas dire son avidité, est à son sommet. Les journalistes tentent de répondre à la demande du public, telle qu’ils la perçoivent puisqu’ils ne peuvent la mesurer objectivement. Dans ces contextes, ils amplifient des pratiques quotidiennes courantes.

La recherche illustre bien, également, le phénomène de saturation qui succède inévitablement aux phases d’effervescence et d’excitation propices au sensationnalisme médiatique.

Toutefois, l’observation et la mesure indiquent que la couverture journalistique d’un événement aussi important que le premier clonage réussi d’un mammifère n’est pas que sensationnaliste. Certes, les anticipations inquiétantes ont le plus souvent surpassé en proportion les anticipations rassurantes, mais la présence de paragraphes équilibrés (anticipations neutres) et surtout de paragraphes consacrés à la mise en contexte ou l’explication (sans anticipation) permet de relativiser le sensationnalisme, du moins dans les quatre quotidiens francophones de l’étude. Il est possible que le sensationnalisme ait été plus marqué dans les journaux populaires de format tabloïd, mais il faut se méfier des jugements a priori et des préjugés à l’endroit de la presse populaire dont la qualité des articles est souvent similaire à celle des journaux grands formats.

On a aussi vu que plus nous sommes exigeant pour définir le sensationnalisme médiatique, moins on peut en retrouver de traces empiriques. Cela est vrai si on accepte une définition minimale, modérée ou exigeante du sensationnalisme (bas, moyen et élevé). Néanmoins, même avec une définition exigeante, la proportion d’articles sensationnalistes du corpus représente plus du quart de la production (27,6 %).

Par contre, quand on tient compte d’autres indicateurs du sensationnalisme médiatique (page, présence d’illustration, titraille), on voit alors que la proportion d’articles sensationnalistes chute presque à zéro. Les pages les plus valorisées n’ont représenté que 12,8 % du corpus, ce qui peut indiquer que les quotidiens analysés n’ont pas cherché de façon marquée à mettre en valeur les articles traitant de clonage. Cela aurait peut-être été différent avec un enjeu social moins aride que le clonage (catastrophe naturelle, conflit armé, épidémie de maladie, etc.).

On sait néanmoins que les bonnes pages des quotidiens ont été le plus souvent utilisées pour des titres misant sur la dimension morale ou futuriste du clonage, au détriment des aspects scientifiques, économiques et légaux. On observe donc une tendance marquée à coiffer les articles sensationnalistes de tires qui insistent sur l’aspect moral ou futuriste du clonage. En raison de l’importance du contenu rédactionnel en journalisme écrit, il nous semble toutefois raisonnable d’accorder à la question du contenu des articles (la caractérisation des paragraphes) plus de poids qu’à celle de leur mise en forme (titraille et page).

On peut malgré tout soutenir que le traitement médiatique du clonage, dans le mois qui a suivi l’annonce de la naissance de la brebis Dolly, a donné lieu à du sensationnalisme dans les quatre quotidiens de notre étude, que ce sensationnalisme s’est surtout exprimé par le biais d’anticipations inquiétantes quant aux conséquences du clonage pour la société. Le sensationnalisme a surtout été marqué dans les deux premières semaines puis a considérablement diminué par la suite. Dans la grande majorité des cas (70 %), les anticipations inquiétantes publiées quotidiennement par les quatre journaux sont plus nombreuses que les anticipations rassurantes, même si les paragraphes contextuels ou explicatifs (SA) demeurent souvent les plus nombreux. La domination des AI sur les AR est plus visible dans les premiers jours comme le révèle le graphique suivant.

Cela est conforme aux intuitions théoriques de Frost qui estime que les probabilités de sensationnalisme médiatique sont plus élevées au début de la couverture médiatique d’un événement qui suscite l’intérêt du public, quand les journalistes cherchent veulent répondre à cette demande subite pour une information de qualité difficile à obtenir.

On constate que, pour ce qu’il en est du clonage, le cadre interprétatif dominant des journalistes est celui des anticipations inquiétantes même s’il n’est pas statistiquement significatif et qu’il est souvent présenté au sein d’articles qui contextualisent l’information.

La présente recherche repose sur un corpus exhaustif pour les quatre quotidiens retenus mais qui ne peut être représentatif de l’ensemble des médias. Les journaux populaires de format tabloïd ainsi que les informations diffusées sur les ondes des stations de radio et de télévision commerciales peuvent avoir un profil différent de celui mis en évidence ici, bien que cela ne devrait pas être le cas selon le modèle de Frost. Il serait vraisemblablement plus accentué et il faudrait accorder plus d’importance à l’analyse des images et du montage en ce qui concerne la presse électronique.

Finalement, s’intéressant à un sujet a priori aride et éloigné des préoccupations quotidiennes des citoyens, il se peut que notre recherche ait sous-estimé le phénomène du sensationnalisme médiatique. À cet effet, il y aurait lieu de répéter la présente recherche en observant la production journalistique relativement à des événements avec lesquels le public nous semble plus intéressé (épidémies de maladies comme le SRAS ou la méningite, drames vécus par des vedettes des sports ou du spectacle, scandale de mœurs, phénomènes sociaux apparaissant comme nouveaux et inquiétants, etc.). Même s’il faudrait également raffiner les outils de mesure et procéder à des tests de fidélité à l’aide de codeurs indépendants, nous croyons que la présente recherche offre des pistes intéressantes d’investigation du sensationnalisme médiatique.
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